La migraine : comprendre, diagnostiquer et traiter cette affection neurologique
La migraine est bien plus qu'un simple mal de tête. Cette affection neurologique complexe touche environ 15% de la population mondiale, avec une prédominance féminine. Caractérisée par des crises récurrentes, elle impacte significativement la qualité de vie des patients. Cet article explore en détail tous les aspects de la migraine, de sa définition aux traitements actuels.
Définition et épidémiologie
La migraine est définie par l'International Headache Society comme un trouble primaire céphalalgique, généralement unilatéral et pulsatile, d'intensité modérée à sévère, aggravé par les activités physiques routinières et souvent associé à des nausées et/ou une photophobie et phonophobie.
Chiffres clés : La migraine affecte 12% des adultes, avec un ratio femmes/hommes de 3:1. Elle débute généralement entre 10 et 40 ans, avec un pic de prévalence entre 25 et 55 ans. Environ 2-3% de la population souffre de migraine chronique (≥15 jours/mois).
Types de migraine
- Migraine sans aura (80% des cas) : céphalée sans signes neurologiques précurseurs
- Migraine avec aura (20% des cas) : précédée ou accompagnée de symptômes neurologiques transitoires
- Migraine chronique : céphalée ≥15 jours/mois dont ≥8 jours avec caractéristiques migraineuses
- Migraine vestibulaire : associée à des vertiges
- Migraine hémiplégique (familiale ou sporadique) : avec faiblesse motrice
Symptômes et caractéristiques cliniques
Phase prodromique (6-48h avant)
- Bâillements fréquents
- Modification de l'humeur (irritabilité, euphorie)
- Raideur cervicale
- Sensibilité à la lumière ou au bruit
- Modification de l'appétit
Phase d'aura (20-30% des cas)
- Troubles visuels (scotomes scintillants, phosphènes)
- Troubles sensitifs (paresthésies en progression)
- Troubles du langage (aphasie)
- Durée : 5-60 minutes (typiquement 20-30 min)
Phase céphalalgique
- Douleur pulsatile, unilatérale dans 60% des cas
- Intensité modérée à sévère
- Aggravation par l'activité physique
- Durée : 4-72 heures (non traité)
- Nausées/vomissements (80%)
- Photophobie et phonophobie (90%)
Phase postdromique (24-48h)
- Fatigue, difficultés de concentration
- Raideur cervicale persistante
- Modification de l'humeur
Signes d'alerte : Une céphalée brutale "en coup de tonnerre", des symptômes neurologiques persistants, une apparition après 50 ans, une aggravation progressive, ou des signes systémiques (fièvre, amaigrissement) nécessitent une consultation urgente pour exclure des causes secondaires.
Diagnostic et bilans
Le diagnostic de migraine est clinique, basé sur les critères de l'International Classification of Headache Disorders (ICHD-3). Un examen neurologique complet est essentiel pour exclure des causes secondaires.
Critères diagnostiques (ICHD-3)
Migraine sans aura : ≥5 crises répondant aux critères suivants :
- Durée 4-72 heures (non traitées ou traitement inefficace)
- ≥2 des caractéristiques suivantes : unilatérale, pulsatile, intensité modérée à sévère, aggravée par l'activité physique
- ≥1 des symptômes suivants : nausées/vomissements, photophobie et phonophobie
Examens complémentaires
Généralement non nécessaires si l'examen clinique est normal et l'histoire typique. Peuvent être envisagés :
- IRM cérébrale : si anomalie à l'examen neurologique, céphalée atypique ou apparition brutale
- Angio-IRM/angio-TDM : si suspicion de dissection artérielle ou malformation vasculaire
- Ponction lombaire : si suspicion d'hémorragie sous-arachnoïdienne ou méningite
- Bilan biologique : selon contexte (VS/CRP si suspicion d'artérite temporale)
Traitements et prise en charge
Traitement de la crise
Objectif : soulager rapidement les symptômes avec un minimum d'effets secondaires.
- Analgésiques simples : paracétamol (1g), AINS (ibuprofène 400-600mg, naproxène 500-1000mg)
- Triptans : sumatriptan 50-100mg, élétriptan 40-80mg, zolmitriptan 2,5-5mg (contre-indiqués en cas d'antécédent cardiovasculaire)
- Antiémétiques : métoclopramide, dompéridone (améliorent l'absorption des antimigraineux)
- Gepants : ubrogepant, rimegepant (nouveaux antagonistes des récepteurs CGRP)
- Dihydroergotamine : moins utilisée actuellement
Stratégie thérapeutique : Le traitement doit être pris tôt dans la crise, à la dose efficace minimale. Une escalade thérapeutique peut être nécessaire selon la réponse. La surutilisation médicamenteuse (>10-15 jours/mois d'analgésiques ou triptans) peut entraîner des céphalées médicamenteuses.
Traitement préventif
Indiqué si ≥2 crises/mois avec impact important, échec des traitements de crise, ou formes particulières (aura prolongée, migraine hémiplégique).
- Bêta-bloquants : propranolol (40-240mg/j), métoprolol (50-200mg/j)
- Antidépresseurs : amitriptyline (10-75mg/j), venlafaxine (37,5-150mg/j)
- Antiépileptiques : topiramate (25-100mg/j), valproate (500-1500mg/j - contre-indiqué chez la femme enceinte)
- Antagonistes calciques : flunarizine (5-10mg/j)
- Anticorps anti-CGRP : erenumab, fremanezumab, galcanezumab (1 injection/mois ou trimestrielle)
- Toxine botulique : pour la migraine chronique (155-195 UI tous les 3 mois selon protocole PREEMPT)
Approches non pharmacologiques
- Thérapies cognitivo-comportementales : gestion du stress
- Biofeedback : particulièrement efficace chez l'enfant
- Acupuncture : preuves limitées mais certaines études montrent un bénéfice
- Régime alimentaire : éviter les déclencheurs identifiés, régime pauvre en histamine
- Activité physique régulière : aérobie modérée
Conseils et recommandations
Gestion au quotidien
- Tenir un agenda des migraines (fréquence, durée, intensité, facteurs déclenchants, médicaments pris)
- Identifier et éviter les facteurs déclenchants personnels
- Maintenir une bonne hygiène de vie (sommeil régulier, repas équilibrés, hydratation)
- Pratiquer des techniques de relaxation (respiration, méditation, yoga)
- Limiter la consommation d'alcool et de caféine
Déclencheurs courants
- Alimentaires : alcool (vin rouge), fromages affinés, chocolat, agrumes, glutamate, aspartame, jeûne
- Environnementaux : lumière intense, bruit, odeurs fortes, changements météorologiques
- Hormonaux : variations œstrogéniques (menstruations, ovulation, contraception)
- Comportementaux : stress, relaxation post-stress, modifications du sommeil, effort physique intense
Prévention hormonale : Chez les femmes avec migraines menstruelles pures, une stratégie hormonale (contraception en continu, œstrogènes en péri-menstruel) peut être envisagée. Les œstrogènes sont contre-indiqués en cas de migraine avec aura en raison du risque accru d'AVC.
Perspectives et recherche
La compréhension de la migraine a considérablement progressé ces dernières années, notamment avec la découverte du rôle central du peptide CGRP (Calcitonin Gene-Related Peptide) dans la physiopathologie. Les nouveaux traitements ciblant cette voie (anticorps anti-CGRP, gepants) représentent une avancée majeure.
Les recherches actuelles explorent également :
- Les mécanismes génétiques (migraine hémiplégique familiale)
- Le rôle du système trigéminovasculaire
- Les marqueurs biologiques prédictifs de réponse thérapeutique
- Les approches de neuromodulation (stimulation magnétique transcrânienne, stimulation du nerf vague)
- Les liens avec le microbiote intestinal
Sources et références :
- International Headache Society (IHS) - The International Classification of Headache Disorders, 3rd edition (ICHD-3)
- Haute Autorité de Santé (HAS) - Prise en charge diagnostique et thérapeutique de la migraine chez l'adulte et l'enfant
- American Migraine Foundation - Guidelines for migraine prevention
- European Headache Federation (EHF) - Consensus on preventive treatment of migraine
- Mayo Clinic Proceedings - Migraine pathophysiology update (2021)
- The Lancet Neurology - Migraine therapeutics in development (2022)
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