L'anémie ferriprive : Comprendre, Diagnostiquer et Traiter
L'anémie ferriprive est la forme d'anémie la plus répandue dans le monde, touchant près d'un quart de la population mondiale selon l'OMS. Cette affection résulte d'une carence en fer qui entraîne une diminution de la production d'hémoglobine, protéine essentielle au transport de l'oxygène dans le sang. Dans cet article, nous explorerons en détail tous les aspects de cette pathologie, de sa définition à sa prise en charge.
Définition et mécanismes
L'anémie ferriprive se définit comme une diminution de la concentration en hémoglobine dans le sang due à une carence en fer. Le fer est un élément indispensable à la synthèse de l'hémoglobine, composant principal des globules rouges. Lorsque les réserves en fer de l'organisme s'épuisent, la moelle osseuse ne peut plus produire suffisamment d'hémoglobine, ce qui entraîne une réduction de la capacité du sang à transporter l'oxygène.
Physiopathologie
Le processus se déroule en trois phases successives :
- Phase de déplétion des réserves : Les stocks de fer dans la moelle osseuse, le foie et la rate diminuent sans affecter encore la production d'hémoglobine.
- Phase de carence en fer sans anémie : Les réserves sont épuisées, la sidérémie (fer circulant) baisse, mais l'hémoglobine reste normale.
- Phase d'anémie ferriprive avérée : La carence en fer entraîne une diminution de l'hémoglobine avec apparition des symptômes cliniques.
Le fer est recyclé à 90% par l'organisme. Seulement 1 à 2 mg de fer sont perdus quotidiennement (transpiration, desquamation cutanée, pertes digestives), ce qui rend les besoins alimentaires relativement modestes mais essentiels.
Épidémiologie
L'anémie ferriprive affecte principalement :
- Les femmes en âge de procréer (20% des cas)
- Les enfants en période de croissance
- Les femmes enceintes (40% des cas)
- Les populations des pays en développement
- Les personnes âgées (15-20% après 75 ans)
Causes et facteurs de risque
Causes principales
- Apports insuffisants : Régimes végétaliens mal équilibrés, malnutrition
- Pertes sanguines chroniques : Ménorragies, saignements digestifs (ulcères, cancers), don de sang fréquent
- Malabsorption : Maladie cœliaque, gastrectomie, infections à Helicobacter pylori
- Besoins accrus : Grossesse, croissance rapide (adolescence), sport intensif
Chez l'homme adulte et la femme ménopausée, une anémie ferriprive doit systématiquement faire rechercher une cause de saignement chronique, notamment digestif (cancer colorectal, ulcère gastroduodénal).
Symptômes cliniques
Les manifestations cliniques varient selon la sévérité et la rapidité d'installation de l'anémie :
Symptômes généraux
- Fatigue persistante et anormale
- Pâleur cutanéo-muqueuse (paupières inférieures, ongles)
- Essoufflement à l'effort
- Palpitations, tachycardie
- Céphalées, vertiges
Signes spécifiques de carence en fer
- Glossite (langue lisse et douloureuse)
- Chéilite (fissures aux commissures des lèvres)
- Koïlonychie (ongles cassants, concaves)
- Pica (envie compulsive de substances non alimentaires : terre, glace)
- Dysphagie (syndrome de Plummer-Vinson)
Diagnostic et bilans biologiques
Diagnostic positif
Le diagnostic repose sur un ensemble d'examens biologiques :
- Numération formule sanguine (NFS) : Hb < 13 g/dL (homme) ou < 12 g/dL (femme)
- Fer sérique : Diminué (< 60 µg/dL)
- Capacité totale de fixation de la transferrine (CTFT) : Augmentée (> 400 µg/dL)
- Ferritine sérique : Dosage clé (< 30 ng/mL)
- Coefficient de saturation de la transferrine : < 20%
La ferritine est le meilleur marqueur des réserves en fer, mais c'est aussi une protéine de phase aiguë qui peut être faussement normale ou élevée en cas d'inflammation concomitante. Dans ce cas, on peut s'aider du dosage des récepteurs solubles à la transferrine.
Diagnostic différentiel
Il faut distinguer l'anémie ferriprive des autres anémies :
- Anémie des maladies chroniques
- Anémie par carence en vitamine B12 ou folates
- Anémies hémolytiques
- Anémies réfractaires
Bilan étiologique
Toute anémie ferriprive justifie une recherche de sa cause :
- Interrogatoire : règles abondantes, saignements, régime alimentaire
- Examen gynécologique chez la femme
- Endoscopie digestive (gastroscopie et coloscopie) si suspicion de saignement digestif
- Test de recherche de sang dans les selles
- Bilan d'hémostase si ménorragies
Traitement
Traitement martial
Le traitement repose sur la supplémentation en fer :
- Voie orale : Sulfate ferreux (Tardyféron®), 50 à 100 mg de fer élément 1 à 2 fois/j entre les repas
- Durée : 3 à 6 mois (jusqu'à normalisation de la ferritine)
- Effets secondaires : Troubles digestifs (nausées, constipation, selles noires)
- Surveillance : NFS à 3-4 semaines (reteiculocytose puis augmentation de l'Hb)
Le traitement par fer oral doit être pris à distance des repas (30 min avant ou 2h après) pour optimiser son absorption, mais peut être pris pendant les repas en cas d'intolérance digestive marquée.
Traitement parentéral
Indiqué dans les cas suivants :
- Intolérance digestive sévère au fer oral
- Malabsorption intestinale
- Anémie sévère avec nécessité de correction rapide
- Maladie inflammatoire chronique
Produits disponibles : fer carboxymaltose (Ferinject®), fer saccharose (Venofer®)
Transfusion
Exceptionnelle, réservée aux anémies très sévères avec retentissement hémodynamique.
Conseils et prévention
Alimentation riche en fer
- Fer héminique (bien absorbé) : Viandes rouges, abats, fruits de mer
- Fer non héminique : Légumes secs, épinards, céréales enrichies
- Facteurs favorisant l'absorption : Vitamine C (agrumes, kiwi, poivrons)
- Facteurs inhibant l'absorption : Thé, café, calcium, phytates (son)
Recommandations spécifiques
- Supplémentation systématique pendant la grossesse (30-50 mg/j)
- Dépistage chez les nourrissons (surtout prématurés)
- Surveillance des femmes ayant des règles abondantes
- Éviter le don de sang fréquent si ferritine basse
Pronostic et complications
Avec un traitement adapté, le pronostic est excellent. Les complications possibles incluent :
- Retard de croissance chez l'enfant
- Altération des performances cognitives
- Complications cardiovasculaires en cas d'anémie sévère
- Risque accru d'infections
- Complications obstétricales (prématurité, retard de croissance)
Références et sources
1. Organisation Mondiale de la Santé (OMS) - Guidelines on iron supplementation (2016)
2. Haute Autorité de Santé (HAS) - Diagnostic et traitement des anémies (2011)
3. Société Nationale Française de Gastro-Entérologie - Prise en charge des carences martiales (2019)
4. Manuel MSD - Anémie par carence en fer (édition 2022)
5. Collège National des Enseignants d'Hématologie - Hématologie (2020)
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